Une ressource forestière limitée: Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel !
La forêt française est entrée dans une situation de crise potentielle. Après une hausse très importante de la surface forestière et de la production de bois au 20ième siècle, en ce début du 21ième siècle, il y a depuis plus de 10 ans un renversement de tendance. L’accroissement biologique des arbres baisse (-4%/an) et on constate aussi une très forte mortalité des arbres (+100 % en 10 ans) due au changement climatique (crises sanitaires forestières, sécheresses, prolifération de bioagresseurs, etc.). Dans le même temps les besoins en matière première bois de la filière traditionnelle ne cessent d’augmenter (bois d’œuvre, d’industrie, bioénergie, carton, bois de chauffage).1
Dans un communiqué publié le 12 octobre 20232, l’Inventaire Forestier National dresse un bilan alarmant des dix dernières années: « Les conséquences du changement climatique se lisent sur la santé des forêts françaises, avec notamment une très forte augmentation de la mortalité des arbres: 7,4 millions de mètres cube par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013 à 13,1 Mm3/an entre 2013 et 2021, En outre, la surface forestière touchée actuellement par le dépérissement est équivalente au cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années. » L’IFN souligne par ailleurs « qu’un ralentissement global de la croissance des arbres a été observé et chiffré à 4%/an… Ainsi le puits de carbone s’est établi à 40 millions de tonnes de CO2/an en moyenne sur 2012/2021 diminuant d’un tiers en une décennie. »
Le projet E-CHO de Lacq nécessitera des prélèvements importants de biomasse forestière, en moyenne de 300 000 tonnes de biomasse forestière par an, pendant 5ans, puis 150 000 tonnes par an les années suivantes. Sur 15 ans, le volume des bois consommé représenterait la totalité de la biomasse forestière des 20 000 ha du massif forestier d’Iraty. Le plan précis d’approvisionnement de ces besoins en bois n’ayant pas été rendu public, aucun territoire n’est à l’abri d’importantes coupes d’arbres. A cela viendraient s’ajouter 135 000 tonnes de bois/an pour la production de 20 000 tonnes de biochar à Garlin, si le projet porté par Miraïa devait y voir le jour.
La forêt de nos régions n’est pas en mesure de fournir une telle quantité de biomasse forestière, et la ressource est souvent surévaluée car, d’une part le volume moyen de bois à l’hectare reste un des plus faible en France (100 à 150 m3/ha), et d’autre part, les parcelles en montagne ne sont pas toujours exploitables. Des conflits d’usage sont inévitables. Ils pourraient provoquer une déstabilisation du secteur actuel de la filière bois en Nouvelle Aquitaine. Car ces projets industriels viendraient en concurrence avec les besoins des acteurs industriels de la filière bois. Ceux ci doivent répondre à une demande en forte croissance des besoins, en particulier pour la construction en bois, la rénovation des bâtiments mais aussi la production de carton qui doit se substituer au plastique. Cette demande en croissance a déjà entraîné une augmentation de 9 % du taux de récolte de bois sur les 7 dernières années. L’étude de l’Interprofession France Forêt Bois réalisée par le cabinet Carbone 4 souligne que la forêt française, confrontée au changement climatique, ne pourra pas satisfaire demain toutes les demandes des industries du bois. Des arbitrages devront être faits en privilégiant les utilisations durables du matériau bois et les besoins en énergie de ces entreprises.
Pour lire l’étude du cabinet Carbone 4
Les besoins en biomasse des usines biochar et de production de « e-bio-kérosène » viendraient aussi en concurrence avec les besoins des populations rurales qui utilisent le bois pour le chauffage (petites chaufferies locales et bois de chauffage individuel). Ces populations comptent aussi sur le développement du tourisme de nature qui serait compromis par la dégradation des paysages. Les conséquences de ces coupes de bois supplémentaires porteraient en effet atteinte au patrimoine forestier qui ne saurait se limiter à la production de bois (dégradation de la biodiversité, des paysages et du rôle de plus en plus important de la forêt dans la régulation du climat). Dans son rapport sur la situation de la forêt française paru en Juin 2023 l’Académie des sciences mettait en garde : «Le bois devient une ressource dont les usages doivent être rationalisés…. En cela, l’augmentation de la récolte de bois pour l’énergie issue de la biomasse ligneuse primaire dans les dix années à venir pose question. En effet, ce bois contribue à augmenter les émissions de CO2 sur un laps de temps pendant lequel celles-ci ne seront pas compensées par une séquestration équivalente.»
Pour lire le rapport de l’Académie des Sciences
La ressource forestière n’est pas inépuisable, son renouvellement infini est un mythe. Depuis une dizaine d’années, comme le mesure donc l’IGN, la croissance de la production faiblit (-4 % /an depuis 7 ans), les maladies frappent les forêts, les incendies causent de très graves dégâts et la mortalité des arbres augmente (multipliée par deux en 10 ans). Certains massifs, notamment dans le Nord-est, présentent déjà des niveaux de mortalité et de prélèvements supérieurs à la production biologique et ont donc un puits de carbone négatif. D’autres forêts ont même perdu de leur potentiel, comme celle des Landes, la plus touchée par les tempêtes et les incendies.3 En aucun cas, nos forêts du Sud-ouest ne peuvent faire l’objet de prélèvements plus importants si l’on veut préserver le puits de carbone et surtout le patrimoine commun que représentent nos forêts.
La forêt étant, avec les océans, le seul écosystème capable de stocker du CO2, il faut impérativement protéger la capacité de nos forêts à capter du CO2 et éviter à tout prix de les surexploiter. Les coupes rases, qui défrichent entièrement les parcelles, sont en particulier à proscrire. Elles détruisent encore plus de végétaux capables de capter du CO2, elles tassent le sol forestier, ce qui compromet sa fonction de séquestration. Et surtout elles libèrent le carbone stocké dans les arbres qui mettront 80/100/150 ans à reconstituer leur stock de carbone. Face au réchauffement climatique, l’Académie des sciences recommande des prélèvements minimaux en sylviculture douce à couvert continu. « Hors sinistres et dépérissement, il apparaît indispensable d’éviter les coupes rases autant que possible, en raison de leurs impacts écologiques, paysagers et climatiques trop importants. »
De plus, lorsqu’on abat, comme le feraient E-CHO et BIOCHAR, des milliers d’hectares d’arbres année après année, on perd aussi les nombreux services que rend la forêt, services que des nouvelles plantations ne sont pas en mesure de rendre avant plusieurs décennies: amélioration de la quantité d’eau disponible et de sa qualité, donc limitation de la sécheresse; réduction de l’érosion des sols et de l’effet éponge limitant les inondations; microclimats préservant et optimisant la productivité agricole; protection de la biodiversité ; sources de revenus et de loisirs pour les habitants ; effet bénéfique sur les températures et le ralentissement du réchauffement, comme le montre une récente étude aux États-Unis.
Pour lire l’article dans Le Courrier international sur cette étude
- Selon l’étude Carbone 4 pour France forêt bois, 23 déc. 2023 ↩︎
- https://www.ign.fr/espace-presse/les-donnees-de-linventaire-forestier-national-confirment-limpact-du-changement-climatiquesur-la-sante-des-forets-francaises ↩︎
- Selon une étude de 2023 basée sur l’analyse de données satellite ↩︎
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